Je suis contaminé par la COVID-19. Je l’ai contractée en effleurant régulièrement les surfaces inertes de mes écrans d’ordinateur et de téléphone intelligent. Sa durée de vie sur ces superficies est très longue et chaque heure au moins de nouvelles souches s’y déposent, laissées par des porteurs sains ou malsains d’informations en tout genre. Je suis contaminé aussi par tous les postillons échangés dans les nombreuses conversations de couloir à propos des nouveaux cas, des fermetures à venir, de l’effondrement des marchés ou de l’imminence d’un vaccin. À mon tour je contamine sans aucune précaution de nombreux autres congénères par les mêmes biais et peut-être même que ces mots qui s’affichent en ce moment sont aussi en train de vous infecter. Entre malades, cependant, il n’y a plus vraiment de risque.
Pour me soigner, je cherche des anticorps de toutes parts. Des nouvelles rassurantes. Les marchés ont rebondi. Ouf ! Un vaccin serait prêt. Enfin ! Ce n’est pas plus grave qu’une grippe. Tant mieux ! Pour autant, leur efficacité est de courte durée parce que d’heure en heure le virus mute et devient plus résistant, se nourrissant avidement de l’augmentation du nombre des cas, des annonces de quarantaine et des suspensions d’événements sportifs ou culturels, mettant à mal mes tentatives désespérées de stopper sa réplication. On aura beau me mettre en isolement, le virus continuera de progresser parce que son foyer ne se situe pas sur un marché chinois mais dans mes propres tréfonds, là où le terreau de mes peurs accueille la semence du virus pour y faire pousser mes terreurs.
Je suis le patient zéro de la panique planétaire.
Le virus, le vrai, n’existe concrètement que dans le corps de ceux qui sont malades. Pour tous les autres, il s’est logé dans nos systèmes immunitaires déprimés pour se répliquer à l’infini. Nous sommes des hôtes inespérés. C’est ainsi que nous le faisons exister, que nous lui donnons de la vigueur et un incroyable pouvoir de mutation, de réplication et de bouleversement du monde.
Et nous voici plongés au cœur de la viro-anxiété. Mêlant peur de mourir, angoisse de fin du monde, impuissance, menace d’effondrement, la viro-anxiété recèle les mêmes ingrédients que l’éco-anxiété, à une différence près : les dirigeants de ce monde, comme moi, sont contaminés.
Alors, ils décrètent l’état d’urgence et agissent. Rien à voir avec la lisse façade de l’état d’urgence climatique qui ne débouche sur presque rien. Je parle ici d’un véritable état d’urgence appelant des mesures radicales et non négociables de limitation des libertés individuelles dont la Chine, paradoxalement peu connue pour son respect des droits de la personne, est devenue le modèle pour tous les autres.
Contraintes ou forcées, des millions de personnes sont mises en isolement, les lieux de vie et de consommation de masse sont fermés, les usines tournent au ralenti, les transports sont suspendus et les centres-villes se désertifient. La planète ferme boutique et part en recul. Le bruit et l’agitation laisseront la place pendant quelques semaines au silence et à l’immobilité de la quarantaine forcée. Saura-t-on tirer parti de cette immense retraite planétaire ? Peut-être pour comprendre combien ceci pourrait être une répétition générale de ce qu’il conviendrait d’accomplir pour faire respirer notre planète et la détourner de sa sinistre trajectoire climatique. Peut-être pour vivre cette quarantaine comme un arrêt salutaire afin de faire émerger dans le silence de nos maisons de nouvelles semences propices à d’autres comportements, une autre humanité.
En attendant l’arrivée d’un vaccin encore improbable, il est bon de se rappeler que la meilleure défense immunitaire contre la peur, c’est le sens. Or celui-ci surgit toujours dans le silence fertile de nos consciences.
Certains l’appellent la méditation, d’autres la prière. Peu importe. C’est certainement la grande occasion offerte par cette pandémie. Vive la quarantaine !
Publié dans le journal Le Devoir le 14 mars 2020 https://www.ledevoir.com/opinion/idees/574949/societe-vive-la-quarantaine
Comments