Quand les bombes humaines explosent en plein Paris et que les armes se déchaînent sur la foule, avec les victimes qui tombent, ce sont des équilibres, peut-être précaires, sans doute illusoires sur lesquels s’est bâti l’Occident, qui volent en éclats. Ces attentats laissent derrière eux un désert aride de sens, pour les familles bien sûr, mais aussi pour nous tous qui aspirons à vivre en paix. Toutes les crises ont cependant une double facette. D’un côté il y a cet effondrement de sens, des victimes, des bourreaux puis, conséquence naturelle, la haine et la guerre comme seule réponse. De l’autre, une facette plus difficile à sentir, presque impossible à voir tant que l’irrépressible et compréhensible besoin de vengeance s’exprime encore haut et fort. De ce côté c’est un déferlement de sens qui surgit. Un sens aigu sur l’étendue de nos responsabilités dans la montée de cette foi folle. Car nous devons nous interroger sur ce que nous avons abandonné pour laisser une telle folie naître et grandir.
Nous avons d’abord abandonné le terrain spirituel. Fascinés par la raison, le progrès et confortés par les errances passées des guerres de religion et les détournements des enseignements religieux traditionnels, nous avons opté pour un Ni Dieu, ni maître pour nous émanciper de toute transcendance.
En produisant le désenchantement du monde, nous leur avons donné les moyens d’un ensorcellement du monde. Parce que nous n’avons plus voulu croire en rien, nous leur avons permis de croire en tout.
Du néant de notre foi se sont développés une foi folle et un cancer métastasé de la pensée qui consiste à vouloir tuer au nom de Dieu. Or ce n’est pas la haine et la guerre qu’il faut nécessairement opposer à ces fanatiques mais plutôt une foi saine, responsable et engagée dans le meilleur de l’homme : celui qui aime et qui partage.
Leur foi pathologique fait écho à notre ego pathologique affamé de biens inutiles et de consommation destructrice. Chaque point de richesse créé en Occident sème plus de pauvreté, de pollution et désespérance dans le reste du monde.
Peut-on s’étonner que l’extrémisme grandisse dans ses zones asséchées par le consumérisme occidental ? Pour ne pas prendre le risque de la foi, l’Occident s’est bricolé des fois de substitution inconsistantes nourries au New Age. Il s’est fasciné pour les grands bazars spirituels, alimentés en syncrétismes souvent enfantins et parfois ridicules, en recettes miracles et en pouvoirs illusoires. La marchandisation du spirituel s’est occupée de masquer habilement cet immense vide qui continue d’habiter nos poitrines. Nous n’avons pas besoin d’être religieux pour vouloir le meilleur de l’homme mais nous avons surtout besoin de nous imprégner d’une authentique tradition spirituelle quelle qu’elle soit, qui nous apprenne de façon saine et rigoureuse à partir à la rencontre intime de nous-même pour nous mettre ensuite au service des autres car telle devrait être la destination de ces enseignements.
Nous avons aussi abandonné une frange de la population que nous avons retranchée des sentiers de la réussite. Enserrée par un chômage de masse depuis près de 30 ans et sans solution contre cette inéluctable raréfaction du travail, nos sociétés occidentales ne donnent plus à chacun les moyens de réussir et de se construire une solide estime de soi dans le milieu professionnel, le cercle familiale ou la société.
À l’écart de ces trajectoires, des populations, souvent jeunes, parfois même diplômées, ne se voient plus offrir les moyens de devenir quelqu’un et de développer un sentiment de soi valorisant et valorisé. Peut-on envisager qu’à défaut de devenir quelqu’un au sein de nos sociétés compétitives et discriminantes, ces hommes et ces femmes sans réel sentiment d’eux-mêmes puissent rechercher une importance de substitution désespérée dans une destinée morbide ?
Le fondamentaliste religieux leur fournit une double réussite ici-bas et au-delà. Ici-bas, l’attentat suicide concentre en quelques minutes un ersatz d’importance, de réussite et d’intensité religieuse que nous ne fournissons plus. Dans l’au-delà, la promesse d’un paradis illusoire et fantasmé vient combler l’espoir que notre désertion spirituelle a laissé en friches.
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